“Salsa picante“, décoction d’un XXème siècle cruel

Au lieu de cultiver la terre, il est devenu un homme de culture. Il a tutoyé la plume et le clavier, s’est exprimé dans plusieurs langues, dont il a fait une partie de sa carrière et même le langage informatique, qui a fait de lui un chef d’entreprise. Attaché de presse en Suède, prof d’Anglais au Canada, ancré en terre messine par les liens du mariage et de la famille, il a aussi fréquenté les studios d’Hollywood en tant que scénariste. Jean Ducreux, revient après toutes ses aventures avec dans son escarcelle un polar lyonnais : Salsa picante.

Obispo -rien à voir avec le chanteur- est un détective privé. Originaire des iles Canaries et projeté sur le pavé de la très respectable ville de Lyon, il est comme un oiseau qui aurait pu être mis en cage par sa belle-famille au patronyme à particule. Ce serait mal connaître l’individu farouche défenseur de se liberté de penser, d’aller et venir. Cependant Nacho Opisbo, tout droit sorti de l’imaginaire de Jean Ducreux, auteur de polar, après avoir croisé plusieurs vies, n’est pas tiré d’affaire : l’assassinat, en pleine fête des lumières 2019, devant la statue de Louis XIV, d’un top model sud-américain, signe le début de ses ennuis. Sa quête de la vérité et des véritables commanditaires dudit crime. « Salsa Picante », première enquête du “Moineau de Bellecour“, autrement dit le détective Nacho Obispo, nous emporte sur la voie des crimes de masse et des drames qui ont émaillé le XXème siècle. Ce polar enlevé aux intrigues solides et bien nouées les unes aux autres se dévore d’un jet. Un peu comme on se laisse prendre par un film au scénario tonique et bien troussé. Cela tombe bien, puisque l’auteur a été scénariste. Entre autres !

Culture plutôt que cultures

Fils d’agriculteur de la Loire, Jean Ducreux aurait pu suivre le même sillon. Nous sommes au mitan des années 50 et lorsque le jeune Jean s’assoit sur les bancs de l’école, un univers de savoir s’ouvre à lui. A neuf ans, le voici cependant en pension chez les bons pères du côté de Saint-Etienne. Pas facile à vivre ! Mais porteuse d’expérience et de brassage sociologique, cette période de pensionnaire, lui fait cultiver l’envie d’une école de commerce. Déjà s’éloigne le monde agricole. Un séjour en Grande-Bretagne, dont il pratique plutôt bien la langue achève de tracer la première phase de sa vie d’adulte. En faculté de Lettres à Saint-Etienne, il obtient sa licence d’Anglais et s’emploie immédiatement à mettre ce savoir diplômé en pratique. Cap sur le Canada, où trois années durant, il enseigne l’Anglais. Il y découvre les grands espaces, un pays ouvert, des gens différents et il se lance, en marge de l’enseignement, dans l’interprétariat. Un premier nouveau pion, qui va en voir s’y arrimer beaucoup d’autres. Le retour dans l’Hexagone, pour passer son Capes, trébuche sur une affaire de date. Geste inconscient ou réelle intention, la réalité est qu’il lui faut trouver autre chose en attendant de pouvoir se représenter. Cap sur la Suède, où Jean travaille dans un centre culturel, où il enseigne également, mais où la faveur des rencontres l’ambassade de France lui propose de devenir attaché de presse à Stockholm. Période bénie et riche pour le jeune Jean, qui balance encore à propos de son avenir. Car après avoir renoncé à l’école de commerce, empêché d’enseigner ès-qualité en France, quoique fort d’une langue anglaise bien maîtrisée, il mesure bien que l’aventure suédoise n’aura qu’un temps. Quelque chose d’autre trotte dans la tête de notre aventurier-voyageur : l’envie d’être scénariste. Ecrire, mais écrire pour le cinéma, voilà qui pourrait réjouir.

Un mariage messin

S’il s’essaye un peu à cet art très particulier, les premiers engagements ne sont pas suivis d’effets porteurs. C’est le retour au pays. Enfin presque, car rejoignant l’Education nationale, il est dépêché…au Ban-Saint-Martin. Enseignant d’Anglais au collège local, il croise la route d’une autre jeune prof. Son avenir bascule, car en tombant sous son charme, c’est la Lorraine qu’il épouse, un clan familial dont il devient membre. Celui des Schoeser, dont le papa a été des années durant, le chef d’agence du Républicain Lorrain à Sarrebourg. Un homme de rigueur, de devoir, mais aussi un esprit libre, un scout militant, qui s’est frotté avec rigueur à l’occupation nazie tout en conservant son libre arbitre. Bon, pour l’intégration de Jean Ducreux dans sa terre d’adoption, il y a plus difficile… D’une foule de matières on prétend qu’elles mènent à tout à condition d’en sortir. Jean fait mentir cette profession de foi populaire. Il reste prof d’Anglais -au moins dans un premier temps- mais voici que pointe son nez l’aventure du numérique domestique. Un contact qui s’est engagé dans l’importation de logiciels américains éprouve le besoin d’en faire traduire les modes d’emploi. Ce qui commence par une feuille blanche, migre bientôt sur un écran monochrome de l’époque, ou plutôt vers les rouages de PC. Le succès vertigineux de ce commerce incline Jean à s’associer à son contact dans la création d’une société de commercialisation des systèmes d’exploitation et logiciel et bien vite Jean s’intéresse au “share ware“. Le tourbillon entraîne notre homme, qui passe des estrades du collège à la révolution numérique en tant que chef d’entreprise. Il est contacté par les responsables de la télématique de l’époque au Technopole, noue des relations avec les Etats-Unis, se rend aux salons spécialisés. 1995 est la date clé. Celle à laquelle il quitte l’Education nationale et connait un décollage fulgurant de son activité commerciale. Il ouvre une société en Espagne, puis une autre en Allemagne. Le succès y est tel, que ses partenaires d’Outre-Rhin lui font une proposition qu’il imagine, dans un premier temps, partenariale. En fait, ils veulent tout de la société introduite au second marché, tout en conservant Jean comme pilote. Fin 2003 cependant, l’appel de la liberté, du large et d’une nouvelle inflexion conférée au cours de sa vie transportent Jean et les siens à…Los Angeles. Oui, oui, en Californie. A deux pas d’Hollywood, du cinéma.

Hollywood ne lui trace pas un boulevard

Jean délaisse donc le langage binaire des machines et les claviers pour reprendre une plume au service du septième art. Il y connait un succès mitigé, non pour des motifs d’une éventuelle indigence de sa production, mais parce qu’il mesure à quel point l’accès aux sphères les plus brillantes de Hollywood demeure délicat. Hors de portée. Cela ne fait rien, sa plume il la met au service de plusieurs livres qu’il écrit et il se spécialise dans le polar. Parce qu’entretemps, il a renoué avec la France, mais s’est installé à. Lyon, il devient assez rapidement un auteur de notoriété locale et s’accapare un lectorat qui le suit entre Saône et Rhône dont il nous fait découvrir certains aspects urbains. L’ancrage de la proximité !

Dans la même séquence de temps, Jean s’avise de ce qu’il appartient toujours à l’Education nationale, renoue avec le territoire lorrain, réussit DESS et DEA, travaille à un doctorat et l’obtient et enseigne à l’ENIM ainsi qu’à l’IUT de Metz. Toujours en Anglais…of course ! Par ailleurs passionné de phonétique, ce qui lui permet l’acquisition aisée du suédois, de l’italien, de l’allemand et de l’espagnol. En 1993, avant son aventure de dirigeant d’entreprise et de scribe des plateaux de cinéma, il a même obtenu son DESS de linguistique à Metz ! L’Espagne, voilà une culture que Jean apprécie, aussi n’est pas un hasard, si le monde ibérique et ses pratiques constituent la colonne vertébrale de son dernier polar. « Salsa picante » aux éditions Héraclite, s’ouvre sur l’assassinat, d’un top model sud-américain, que le détective Obispo connait puisqu’il est son voisin. Sans commanditaire au début, puis requis de façons multiples ensuite, il tente de remonter la trace de ceux qui ont perpétré et commandité l’assassinat de la jeune personne. Elle ressemble fort à une escort-girl financée par un sponsor, qui n’est autre que l’ancien tortionnaire argentin de ses parents. Résolument antifasciste et ennemi des dictateurs de tout poil, Nacho Obispo marié à jolie MaCa, de la noblesse lyonnaise, nous fait aussi découvrir les mœurs de ceux qui habitent les beaux quartiers. Fresque sociale libertaire, truffé de références culturelles ibères, ce polar permet à son auteur de donner la pleine mesure du fruit conjugué de ses expériences multiples de vie. Le style est enlevé, résolument inspiré de son passage en milieu cinématographique et les nœuds de ses intrigues bien serrés font de « Salsa picante » une aventure pimentée que l’on repose qu’après l’avoir toute entière dégustée. Jean, le prochain Nacho Obispo, c’est quand tu le sens, mais s’il te plaît, sur le pavé messin !

Gilbert Mayer

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